Now, what ?

Énième tentative. Je m'appelle Anouck, j'ai bientôt 23 ans.

Je vis à Lyon avec deux myopes : l'un est trop bruyant, l'autre trop discret. On a pas de chat, parce que j'ai dis non. Tous les matins, je me lève à 7h45 pour être en retard à mon école de théâtre dans le 7ème. Je ne mange pas mon taboulé dans le T2 bondé qui va à la fac, parce que j'oublie ma fourchette.
Après ça, j'écris des pièces, des scénarii, et des tas d'autres trucs avec une guitare. J'ai quelques amis branchés et plein d'amis paumés, alors c'est eux que je préfère. J'ai peur des oiseaux et des animaux morts. J'ai pas de maman, c'est con, mais j'ai un frère pas con du tout.

Comme tout le monde, quoi.


mercredi

L'ornithologue ninja : carnet de bord.


J'aime les oiseaux de nuit. 
Pour les approcher, faut se coucher très tard, et souvent, ne même pas dormir du tout : faut attendre que tout le monde ait quitté le bar et se soit répandu sur les trottoirs, que la moitié des survivants se soient endormis dans le canap de l'after, et là, on peut avancer d'un centimètre. Un centimètre par heure. De 4 à 6h. Avant ça, le rapace nocturne est bien trop fier, et après ça, il est bien trop lucide. Je veux bien sacrifier mon sommeil et mon amour propre pour ceux deux heures volées à approcher, tapie dans l'ombre, jumelles autour du cou et carnet de notes en main. Une ornithologue ninja. C'est en commençant ce drôle de métier que j'ai découvert les plaisirs cachés du lever de soleil, l'odeur des croissants qui te crucifie, qui te crépuscule la gueule, les petites bouteilles d'eau bien utiles, et mes colocs épinglés dans leurs cravates quand je passe enfin la porte de chez moi.


L'ornithologue ninja doit dire adieu à sa bonne mine, sa ponctualité et son haleine si elle veut pouvoir goûter à la fraîcheur mentholée de l'aube délavée, et aux baisers hasardeux de 4 à 6. C'est ceux-là son ultime récompense, ceux qu'elles préfèrent. Les baisers de la nuit, eux, sont trop imbibés, trop sirupeux, ça pue le sol collant et l'évier de cuisine ; alors que dans le petit matin, juste avant de tomber de sommeil … Y'a comme un petit piquant frais, comme un petit éclat de noisette. L'alcool abandonne doucement les corps déchaînés, et on attrape un instant unique de l'autre, vulnérable : la vodka l'a laissé maladroit et épuisé, mais elle ne sert plus de barrière au bon sens. Y'a des gens qui me disent de faire attention à moi, ils disent que je m’abîme et que je me fais du mal. Moi je dis que les baisers de l'aube réparent l'âme. Parce qu'on a arrêté de s'agiter comme des déments et de rire aux éclats, parce qu'on est immobiles et un peu zombifiés, et que ça nous rend tendre. Un aveu ultime de tendresse. C'est dans ce moment là que je me sens la plus minuscule et la plus grande à la fois, et quand j'effleure les plumes d'un oiseau de nuit immobile qui se laisse faire, ça met du baume à la vie.


                               

Et puis juste, c'est beau, non ? Les bâtiments rosés, orangés, le ciel tout froissé, les restes de la lune qui flottent. Les joggeurs en combinaison jaune, les nanas en tailleurs sur leurs trottinettes, je leur trouve un air de personnage de BD et il fait un peu frais alors j'écarte les bras et je tourne. La rue est presque vide, il y a juste des bruits d'oiseaux et des volets qui s'ouvrent et en écartant les bras j'essaye de tout attraper. Et là, je voudrais raccrocher, arrêter de chasser les oiseaux et juste apprécier ces moments sans jumelles, sans carnet, sans calculs. Arrêter de suivre les petites traces de pas laissés par des mythes et des légendes, arrêter de guetter une main à saisir, une épaule à caresser. Juste moi, toute seule, toute morte, les bras en l'air dans l'aube, crucifiée par l'odeur des croissants. Crépusculée. Parce qu'à ce moment là y'a presque plus d'amertume, on est trop fatigué pour être triste, on est juste des petits bouts de chiffons qui flottent dans l'air et on est bien. Le lendemain – enfin, quelques heures après avoir dormi, finalement – on regrette mais sur l'instant on est merveilleusement bien. C'est dur de rentrer. Je voudrais qu'il y ait partout dans les rues de petites cages douillettes pour les oiseaux de nuit et leurs ornithologues tendres, pour qu'ils n'aient jamais à rentrer. Pour qu'ils se figent juste dans l'instant, et dorment – mal, sûrement. 

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