Now, what ?

Énième tentative. Je m'appelle Anouck, j'ai bientôt 23 ans.

Je vis à Lyon avec deux myopes : l'un est trop bruyant, l'autre trop discret. On a pas de chat, parce que j'ai dis non. Tous les matins, je me lève à 7h45 pour être en retard à mon école de théâtre dans le 7ème. Je ne mange pas mon taboulé dans le T2 bondé qui va à la fac, parce que j'oublie ma fourchette.
Après ça, j'écris des pièces, des scénarii, et des tas d'autres trucs avec une guitare. J'ai quelques amis branchés et plein d'amis paumés, alors c'est eux que je préfère. J'ai peur des oiseaux et des animaux morts. J'ai pas de maman, c'est con, mais j'ai un frère pas con du tout.

Comme tout le monde, quoi.


lundi

_ on devrait, tout le temps, partout.


Pourquoi j't'ai pas embrassé ? N'importe où, n'importe quand, genre dans le bus. Dans le bus du retour pendant que tout le monde dormait, dans les couloirs vides, dans la bibliothèque quand on était sensé bosser et que je pouvais pas me concentrer à cause de ton humour de merde et ta foutue tronche. J'aurais dû. Parce que je crois qu'au fond, on devrait, tout le temps, partout. Et mon grand pardon à tous ceux à qui j'en ai voulu d'en embrasser une autre, mon grand pardon les gars, et même : faîtes donc. Pitié, à vous tous, les prochains, ne vous embarrassez pas de mon orgueil, ne laissez pas mon orgueil vous gâcher des moments de plaisir. Embrassez-les. Toutes, tout le temps, embrassez vos collègues, vos potes, vos ex, vos inconnues dans les bars ou les bibliothèques, et tant pis si je m’énerve, et tant pis si ça s'fait pas, et tant pis si je la connais en plus cette petite pute. Fuck this shit, c'est des instants à prendre, il faut mordre dedans. Moi j'aurais dû te mordre un peu plus parce que tout ce que j'ai eu (et tout ce que j'ai donné), c'est un carambolage de langues bourrées sur une banquette. Je pouvais te donner beaucoup, beaucoup plus – attention, je te parle pas d'amour là, mais juste, tu sais, le frisson, le secret, la dérobée. J'avais vraiment envie de donner plus, et à force de tout garder pour soi on finit par avoir les mains vraiment vide. 

Je crois que c'est pour ça que je tiens pas en place, que je panique si vite et que je sais jamais où je vais. Ma fougue et ma folie, je les ai bradées, j'ai vidé tout mon stock de « oh et puis merde soyons fous » à un putain de vampire qui m'a presque rien laissé. J'aurais du t'en donner plus, à toi, aux autres, répartir équitablement. Maintenant c'est trop tard. Faut regarder devant. Alors j'essaye, je fais des touts petits pas, et on dira des trucs comme quoi j'ai le feu au cul, et on dira que je suis en train de faire de la merde, mais moi je dirais : j'ai juste pas envie de regretter, et j'ai envie de croquer dans tous les silences gênés, dans tous les espaces entre les bouches. Parce que c'est trop bon. Et c'est sain, et tout le monde aime ça, et putain si je saisi pas – même timidement – les mains qu'on me tend – même timidement – je vais encore me retrouver avec un bocal plein d'occasions manquées et personne à qui les donner.

Aujourd'hui, toi, tu me manques, pour milles autres raisons, mais ça c'en est une. Parce que pendant que j'aurais pu vivre un drôle de bordel avec toi, qui nous aurait fait nous engueuler plus que d'habitude, qui aurait sûrement fait jaser mais qui nous aurait fait tellement de bien, j'ai donné tous mes petits cœurs en cartons à un abruti qui m'a même pas fait vivre le quart d'une demi-passion. Et je sais pas ce qu'elles valent, mes passions, mais t'en méritais au moins une entière. Pas facile de te laisser aller en paix, j'arrive pas à te lâcher à cause de ça, bizarrement, alors que c'est pas ça qui fait le plus mal. Evidemment, moi c'est mon poteau qui me manque, c'est mon copain, mon collègue, mon frangin. Mais t'étais aussi mon flirt du fond de la classe et j'espère que quand t'as senti qu'il faisait un peu plus froid que d'habitude, quand t'as senti que ta machine allait freiner, t'as eu aucun putain de regrets sur les bus endormis, les couloirs vides, les putains de bibliothèques.




vendredi

Les Légos en trop


C'est quand, l'amour ?

Je veux dire, l'autre sorte, celui que j'ai pas encore essayé. De toutes les couleurs et de toutes les textures, j'en ai bouffé de l'amour, mais il m'en manque encore beaucoup trop. Je voulais pas les collectionner, à la base, c'est plutôt comme les dragées de Bertie Crochue : quand t'y as goûté, t'as envie de tous les connaître. Alors, c'est quand ?




Celui des évidences, de l'absolu, de l'équilibre, l'amour qui dit construire et communiquer, l'amour qui dit toujours, celui qui fait peur parce que ça y est on est à Ikea un samedi aprem putain. On est à Ikea et on a plus si peur, finalement. Moi c'est ça que je veux, je veux pas m'encroûter, je veux juste me déposer doucement sur le sol. Accroupie, voilà, prête à rebondir ou à me coucher, entre les deux, je serais jamais affalée par terre, roulée dans la panure d'une histoire qui pue la dispute au Casino, mais j'en ai marre d'être debout toute seule comme si j'attendais le bus.

Y'a bien des gens, à côté de moi, on se tient la main et c'est bien chouette d'attendre le bus ensemble. Mais moi j'veux prendre quelqu'un par les deux mains, fléchir les genoux, qu'on s'accroupisse ensemble comme des enfants cachés sous une table et qu'on arrête jamais de parler. Quand on aura fini de parler, alors on pourra rebondir, on se lâchera jamais la main, non en fait si, on la lâchera parce qu'on sait, on sait que c'est pas pour longtemps.

C'est quand, l'amour, le grand, celui avec les boîtes de confiance en conserve, avec toute la puissance complice du meilleur ami, toute la fougue effrénée du meilleur coup de ta vie, tout le romantisme de ton amour de jeunesse ? Mon autre moi, non, pas mon autre moi, mais juste le morceau de moi qui manque. Je suis un vaisseau Star Wars en Lego, je t'assure, ça c'est moi, il manque juste quelques pièces pour que je sois complète et c'est con, tu vois, les Lego, j'ai des pièces en trop qui me servent pas.


Je te jure, elles entrent pas. Elles doivent être à quelqu'un d'autre, elle vont surement sur un autre vaisseau Star Wars, un que je connais pas. C'est ça, les histoires de coeur, on s'échange nos briques en trop pour voir si ça le fait, et souvent, ça le fait pas. En plus, y'en a qui veulent même pas te rendre tes briques, alors forcément, avec le temps, t'en as de moins en moins.

Je crois quand même qu'il m'en reste assez pour compléter mon amour, quand il daignera se montrer.


mercredi

L'ornithologue ninja : carnet de bord.


J'aime les oiseaux de nuit. 
Pour les approcher, faut se coucher très tard, et souvent, ne même pas dormir du tout : faut attendre que tout le monde ait quitté le bar et se soit répandu sur les trottoirs, que la moitié des survivants se soient endormis dans le canap de l'after, et là, on peut avancer d'un centimètre. Un centimètre par heure. De 4 à 6h. Avant ça, le rapace nocturne est bien trop fier, et après ça, il est bien trop lucide. Je veux bien sacrifier mon sommeil et mon amour propre pour ceux deux heures volées à approcher, tapie dans l'ombre, jumelles autour du cou et carnet de notes en main. Une ornithologue ninja. C'est en commençant ce drôle de métier que j'ai découvert les plaisirs cachés du lever de soleil, l'odeur des croissants qui te crucifie, qui te crépuscule la gueule, les petites bouteilles d'eau bien utiles, et mes colocs épinglés dans leurs cravates quand je passe enfin la porte de chez moi.


L'ornithologue ninja doit dire adieu à sa bonne mine, sa ponctualité et son haleine si elle veut pouvoir goûter à la fraîcheur mentholée de l'aube délavée, et aux baisers hasardeux de 4 à 6. C'est ceux-là son ultime récompense, ceux qu'elles préfèrent. Les baisers de la nuit, eux, sont trop imbibés, trop sirupeux, ça pue le sol collant et l'évier de cuisine ; alors que dans le petit matin, juste avant de tomber de sommeil … Y'a comme un petit piquant frais, comme un petit éclat de noisette. L'alcool abandonne doucement les corps déchaînés, et on attrape un instant unique de l'autre, vulnérable : la vodka l'a laissé maladroit et épuisé, mais elle ne sert plus de barrière au bon sens. Y'a des gens qui me disent de faire attention à moi, ils disent que je m’abîme et que je me fais du mal. Moi je dis que les baisers de l'aube réparent l'âme. Parce qu'on a arrêté de s'agiter comme des déments et de rire aux éclats, parce qu'on est immobiles et un peu zombifiés, et que ça nous rend tendre. Un aveu ultime de tendresse. C'est dans ce moment là que je me sens la plus minuscule et la plus grande à la fois, et quand j'effleure les plumes d'un oiseau de nuit immobile qui se laisse faire, ça met du baume à la vie.


                               

Et puis juste, c'est beau, non ? Les bâtiments rosés, orangés, le ciel tout froissé, les restes de la lune qui flottent. Les joggeurs en combinaison jaune, les nanas en tailleurs sur leurs trottinettes, je leur trouve un air de personnage de BD et il fait un peu frais alors j'écarte les bras et je tourne. La rue est presque vide, il y a juste des bruits d'oiseaux et des volets qui s'ouvrent et en écartant les bras j'essaye de tout attraper. Et là, je voudrais raccrocher, arrêter de chasser les oiseaux et juste apprécier ces moments sans jumelles, sans carnet, sans calculs. Arrêter de suivre les petites traces de pas laissés par des mythes et des légendes, arrêter de guetter une main à saisir, une épaule à caresser. Juste moi, toute seule, toute morte, les bras en l'air dans l'aube, crucifiée par l'odeur des croissants. Crépusculée. Parce qu'à ce moment là y'a presque plus d'amertume, on est trop fatigué pour être triste, on est juste des petits bouts de chiffons qui flottent dans l'air et on est bien. Le lendemain – enfin, quelques heures après avoir dormi, finalement – on regrette mais sur l'instant on est merveilleusement bien. C'est dur de rentrer. Je voudrais qu'il y ait partout dans les rues de petites cages douillettes pour les oiseaux de nuit et leurs ornithologues tendres, pour qu'ils n'aient jamais à rentrer. Pour qu'ils se figent juste dans l'instant, et dorment – mal, sûrement.